Les soirées de Langley Hall.
Nous avons brièvement présenté sur ce site les trois enfants du vice-amiral George Waldegrave, deuxième Lord Rastock, et de son épouse Esther Caroline Paget. Tous les trois sont devenus des chrétiens engagés, que l’on classe au premier rang des « grands laïcs évangéliques » de l’époque victorienne. Les deux sœurs Waldegrave et leur frère, le troisième Lord Rastock (1833-1913), étaient très liés, et leur engagement spirituel évolua de façon semblable. Un de leurs points communs était la proximité avec Reginald Radcliffe et le célèbre missionnaire Hudson Taylor dont ils ont largement financé l’oeuvre en Chine.
Leur impact spirituel aujourd’hui, plus d’un siècle et demi plus tard, se montre impressionnant et multiforme, puisqu’il a laissé des traces, aussi bien sur le plan missionnaire, en Chine, en Russie et en France, que dans le domaine théologique. Les Waldegrave ont été en effet des figures du proto-pentecôtisme européen. A partir des années 1860, en effet, quelques évangéliques indépendants élaborent petit à petit le corpus théologique que l’on peut qualifier de « charismatique » aujourd’hui. Deux des principaux marqueurs pentecôtistes sont effectivement présents dans leur engagement spirituel : l’attende d’une seconde ou d’une troisième « bénédiction », selon le cas, désignée comme « baptême du Saint-Esprit », et la pratique de la « guérison par la foi » et de l’imposition des mains aux malades. Le maillon encore manquant, la glossolalie ou « parler en langues », n’y fut associé que plus tard, au tout début du XXe siècle, et aux États-Unis.
Mais il est temps de nous attarder sur chacun des enfants du vice-amiral, les deux filles et le futur troisième lord .
J’ai évoqué trop rapidement à la fin de mon dernier article la figure de l’aînée, Élisabeth Cornélia Waldegrave (1824-1903). Le fait qu’elle soit restée célibataire l’a laissée en retrait dans la mémoire contemporaine, mais son rôle a été essentiel, ne serait-ce que dans la conversion de ses frère et sœur. Élisabeth Cornélia était née près de 10 années avant son frère, Lord Rastock III, et s’engagea très tôt dans la foi. Elle fut rapidement connue comme prédicatrice et évangéliste, portant tout particulièrement ses efforts vers les marins et les femmes contraintes à la prostitution. On lui doit nombre de Sailor’s homes sur les côtes de la Grande-Bretagne.
Annie Trotter, qui fut une amie proche des Waldegrave et la première biographe de Lord Rastock, trace d’elle un portrait très favorable dans l’ouvrage 1:
« Nous pouvons mentionner ici le très remarquable Réveil parmi les marins rapporté dans l’agenda de Lord Rastock […] en relation avec sa sœur Miss Élisabeth Waldegrave. Il débuta suite à la conversation qu’elle engagea avec quelques marins rassemblés aux funérailles d’un amiral où elle leur parla de l’amour de Dieu2. Se montrant très intéressés, ils demandèrent à en entendre plus. Dans ce but,170 d’entre eux se rassemblèrent peu après dans une petite salle non loin de là. Lors de ce meeting d’autres encore demandèrent à être invités. Il serait impossible de donner les détails de ce magnifique mouvement de Réveil commencé à bord des navires, généralement dans l’entrepont, ou sur la côte, et qui se poursuivit pendant plus de 20 ans. De nombreux marins, insouciants et frivoles, y apprirent à connaître la réalité de l’amour divin […] En ces jours là, il y avait peu de nos vaisseaux de guerre dépourvus d’un groupe de prière se rassemblant habituellement derrière les grosses pièces d’artillerie…
Dans sa vieillesse, Élisabeth Waldegrave devint une grande invalide, mais elle distribuait toujours depuis son fauteuil roulant des petits traités aux marins qui passaient ».
Lady Caroline.
Elisabeth Waldegrave avait une sœur cadette, Caroline Esther Waldegrave, née le 24 mai 1826 à Londres, et décédée le 3 juillet 1898 au Sailor’s Rest du Havre. Cette dernière, tout aussi engagée dans la foi, fit un mariage prestigieux en épousant en 1852 Sir Thomas Proctor-Beauchamp, qui n’allait pas tarder à devenir le quatrième baron Proctor-Beauchamp.
Elle passa l’essentiel de ses 22 années d’épouse dans le beau domaine familial des Beauchamp à Langley Hall dans le Norfolk. Le château devint alors un point de ralliement pour la famille et les protestants évangéliques des environs. Lady Caroline mit au monde durant cette période pas moins de 9 enfants survivants, dont trois héritèrent successivement du titre de Lord Proctor-Beauchamp. Tous ne se montrèrent pas de fervents chrétiens, mais la mémoire protestante a gardé le souvenir de l’un d’entre eux, Sir Montagu Proctor-Beauchamp (1860-1939), devenu le 7ème baron à la mort de son aîné en 1915. Il avait été un des « Sept de Cambridge » qui bouleversèrent l’opinion britannique en abandonnant une carrière prometteuse pour partir en mission en Chine lors du Réveil de 1885. Citons, parmi les sept autres missionnaires partis de Cambridge, Charles Studd (1860-1931), fondateur de la WEC (Wordwide Evangélisation Crusade), et Cecil Polhill (1860-1938) qui, revenu d’un séjour en chine et au Tibet, fonda la Pentecostal Missionary Union qui devint peu après les Assemblées de Dieu britanniques.
Lady Caroline Proctor-Beauchamp, devenue veuve en 1874, laissa Langley Hall à son fils aîné, le 4ème baron. Elle se consacra désormais aux voyages et à la prédication et se fixa à la fin de sa vie sur la côte normande, d’abord à Honfleur puis au Havre où elle fit édifier le Sailor’s Rest où elle mourut en 1898. Elle exerça, en ses dernières années, une profonde influence sur une jeune fille suisse de la ville, Hélène Biolley, qui l’assistait dans son œuvre.
(A suivre…)
1A. Trotter, Lord Rastock : an interprétation and a record, Londres, Hodder et Stoughton, 1914.
2A Trotter, Op. Cit., p. 167-168.