A la recherche des protestants disséminés en Vendée.
Depuis les années 1850, au moins, les campagnes protestantes se vident. Les groupes isolés sont les plus vulnérables et il disparaissent de façon inéluctable. Exode rural et déchristianisation se conjuguent au sein de la modernité pour détruire l’ancien tissu huguenot. Même en Vendée, terre très catholique, 3500 Réformés subsistaient en 1850. Ils avaient résisté jusque-là, même pendant la Révolution, pris en étau entre les « Chouans » et les « bleus ».
Leur extinction progressive, à la fin du XIXe siècle, a attiré l’attention des responsables protestants. La Société Évangélique de Genève (SEG) a détaché en leur faveur quelques évangélistes, tandis que la Société Centrale Protestante d’Évangélisation essayait de maintenir des paroisses isolées, comme celle de Sainte-Hermine, autrefois prospère.
Seule bonne nouvelle, un moyen technique inattendu, le vélo, donne à la fin du siècle aux quelques pasteurs de la région, la possibilité de visiter les familles subsistantes et d’assurer des cultes en des lieux délaissés.
Nous suivons ici l’évangéliste Abel Auguste Liénard, né en 1849 à Annonay, qui combinait les charges d’enseignant et de pasteur. Il avait été affecté par la Société Évangélique de Genève à Foussais, aujourd’hui Foussais-Payré, petite commune au sud de la Vendée proche du Marais-Poitevin. Il y réside alors avec son épouse, Esther Benoit, et leurs derniers enfants. Leur fils Jacques décédera comme missionnaire au Zambèze.
L’article ci-dessous est extrait de sa communication au Congrès de l’évangélisation de Montauban en 1900.
A l’âge de 50 ans, le pasteur aura réalisé dans sa journée un périple de près de 100 km sur une machine de près de 30 kg sans changement de vitesses, assuré un culte et effectué plusieurs entretiens…
« Messieurs et chers frères, Je vous invite à faire avec moi une tournée de visites parmi les protestants disséminés de la Vendée […].
A 5 kilomètres je traverse la Vendée sur le vieux et pittoresque Pont-Albert, dans un site sauvage, et je remonte plus lentement la pente opposée. Voici Saint-Michel-le-Cloucq, c’est la fin du Bocage, le commencement de la plaine, qui m’apparaît tout à coup immense, avec de nombreux clochers, et devant moi la coquette ville de Fontenay-le-Comte que domine de ses 79 mètres la belle flèche de sa cathédrale. Tout au bord de l’horizon, un petit trait vertical, c’est le clocher de Luçon à plus de 30 kilomètres de distance. Nous y serons ce soir. Au sortir de la ville commence ce ruban qui s’allonge pendant 23 kilomètres en ligne droite et se nomme la route nationale de La Rochelle à Nantes. Pas d’autres arbres que ceux qui bordent la route : c’est la plaine, légèrement ondulée, très verte en cette saison, mais bien monotone et bien solitaire ; je ne rencontrerai pas 10 personnes entre les bourgs. J’en traverse deux et me voici dans la petite ville de Sainte-Hermine. Il est neuf heures et demie et j’ai le temps de faire une tournée générale pour prévenir nos gens que le culte aura lieu ; c’est aussi une occasion de les visiter. L’Église de Sainte-Hermine (elle a un joli petit temple) est bien le type des Églises des disséminés : à 23 kilomètres de son chef-lieu de paroisse (Mouilleron-en-Pareds) et à 34 kilomètres de Foussais, elle était autrefois prospère. Les morts et les départs l’ont ruinée, les naissances n’ont pas réparé les pertes; il reste peu de jeunes ménages. Il y a cinq ans, elle n’avait qu’un seul service mensuel et il n’était pas rare que la maladie ou le mauvais temps n’empêchassent le pasteur d’arriver le troisième dimanche du mois. La Société Centrale, en plaçant un évangéliste à Foussais, donne les moyens aux quelques protestants de cette minuscule église (une vingtaine), de se réunir tous les 15 jours. A Pentecôte, l’an passé, j’ai admis à la Sainte-Cène trois catéchumènes, et les fidèles ont pu, pour la première fois depuis 10 ans. s’approcher de la Table sainte. Après le culte, les enfants reçoivent l’instruction religieuse. Le dimanche 4 mai de cette année, j’en avais trois.
En suivant la Lay…
Après le déjeuner, me voici de nouveau en route. À mon grand regret, je laisse derrière moi deux localités où je voudrais bien visiter deux familles. Pour vous donner une idée des isolés, laissez-moi vous en présenter une. A six kilomètres au nord de Sainte-Hermine représentez-vous, dans une clairière au milieu des bois, un four à chaux en ruines, une tuilerie délabrée et abandonnée, et près de là, quelques bâtiments assez bien conservés. Voilà où demeurait une famille de 10 personnes, 8 enfants et les parents. Ceux-là sont de vrais isolés, non pas seulement au point de vue protestant, mais au point de vue humain. Ces pauvres amis ont bien de la peine à comprendre le but de ma visite. Ce sont de vrais sauvages et combien misérables ! Cela serre le cœur. Descendons vers le sud.
Voilà Simon-la-Vineuse. La route monte, monte, mais bientôt il faut mettre pied à terre, il faut regarder, admirer : c’est trop beau ! A mes pieds, la profonde vallée du Lay, semblable à un large ruban d’argent bruni; au-delà, des coteaux, des villages, des châteaux, des fermes, des bois, et à gauche, bien loin, le marais qui scintille à travers les arbres. Tout n’est pas fatigue dans notre tournée, vous me permettrez bien de m’arrêter un instant. Descendons maintenant vers le bourg des Moutiers-sur-Lay. Je vais visiter la famille M. En entrant, je trouve la mère et deux des enfants ; j’ai vu l’aîné ce matin au culte, à Sainte-Hermine. La mère dépêche son « drôle » à la recherche du mari, et pendant ce temps nous causons, il y a de la piété chez cette femme, je le vois bien à la joie répandue sur tes traits quand, par bonheur, elle peut venir au culte à Sainte-Hermine. Le « drôle » revient, « Eh bien, ton père va-t-il venir ? — Non, il a dit qu’il n’avait pas le temps. » Il était en effet sérieusement occupé : il jouait aux boules. Je rassure la mère confuse et je reprends ma machine.
En suivant la vallée, j’arrive au moulin de Brau. Le père P, et sa femme me reçoivent avec empressement. Il y a nombreuse compagnie aujourd’hui dans le moulin. Deux des fils de notre ami se sont mariés, il y a un peu plus d’un an, avec des jeunes filles catholiques de St-Michel-en-l’Herme, et, fait à noter chez des protestants isolés, nous n’avons pas perdu de membres de notre troupeau déjà bien réduit, au contraire. Si les jeunes femmes ne sont pas des protestantes bien éclairées, il nous reste les maris et nous allons aujourd’hui baptiser leurs deux enfants. Beaucoup d’assistants sont catholiques; ils sont curieux de voir comment se célèbre un baptême protestant. Je n’ai pas laissé échapper cette occasion pour présenter l’Évangile.
On voudrait bien me retenir; mais il faut aller plus loin. Toujours en suivant le Lay, je traverse le bourg pittoresque de Mareuil, où je trouve la route de Luçon. Je m’en détourne pour pousser une pointe jusqu’ à Corps où j’irai visiter les beaux-parents de l’aîné des fils P., que j’ai, du reste, vus au moulin. Cette famille P. est très nombreuse, on en trouve des représentants dans toutes les paroisses de la Vendée; c’est un vrai clan, mais ce sont de bons protestants. En hiver, nos amis Corps réunissent, quand je vais les voir, leurs amis et leurs voisins, et nous avons d’intéressantes réunions.
Je retrouve la route ; adieu les beaux sites ; nous sommes de nouveau dans la monotone plaine, et bientôt dans la ville épiscopale de Luçon. Il faut dire bonjour en passant à la famille L. Si j’étais arrivé plus tôt, j’aurais assisté à un culte de disséminés. Mme L. invite quelques amies et ensemble elles s’édifient par la lecture du Messager du Dimanche.
Me voilà sur la route de Luçon à Fontenay, excellente route pour les cyclistes. Encore un crochet… Faut-il laisser à 5 kilomètres sur ma droite le petit bourg de Moreille et son facteur manchot, le bon P., et son grand gendarme de femme, ses deux filles et son garçon ? Hélas, j’avais chez eux, il n’y a pas encore bien longtemps, de bonnes réunions ! Leur petite salle se remplissait et les cantiques étaient chantés avec entrain. Mais petit à petit j’ai trouvé l’accueil plus froid du côté de la mère, catholique, ancienne religieuse, et plus timide de la part du père. Cela va mal. La mère a décidé ses deux filles à passer au catholicisme. Le père, vraiment pieux mais trop faible, n’a pas eu le courage de résister à sa terrible femme. Les jeunes filles, chose exceptionnelle dans leur situation isolée, avaient reçu une instruction religieuse suivie, l’une à Mouilleron, l’autre à Fontenay. Cela aggrave leur tort. Je retrouve ma route de Fontenay et, sans m’arrêter longtemps à Nalliers, je vais faire savoir au facteur P. et à sa femme que, bien qu’isolés, ils comptent dans le troupeau des protestants et que de nombreux amis qui se résument en un seul nom, la Société Centrale, s’intéressent à eux. Après quoi je les recommande à Celui qui ne nous laisse jamais.
Que de coups de pédales pour me rendre à Foussais! J’y arrive cependant à la nuit tombante. 90 kilomètres avaient passé sous mes pneumatiques.
Abel Liénard, agent de la Société Centrale à Foussais (Vendée)1.
1In Le Journal de l’Évangélisation, 1900, p. 252-256.