Contre la distribution biblique -2

Une offensive qui ose s’assumer…

    Nous avons brièvement présenté, dans notre dernier article, le pasteur Henri Meynadier, et son ouvrage Plaidoyer pour les sociétés bibliques. L’intérêt majeur de ce livre résidait dans sa deuxième partie. L’auteur s’est en effet attaché à réfuter les arguments qui pouvaient être émis contre une large diffusion des Livres saints.

    Toute la seconde partie de l’ouvrage, à partir de la page 84, s’intéresse en effet « aux préventions dont les sociétés bibliques font encore l’objet ».

    Le premier débat est assez circonstanciel, caractéristique du début des années 1820 où la présence de oeuvres bibliques était encore discrète : «  On ne se forme pas une idée assez grande de ces sociétés ». Cet état de fait sera vite dépassé à partir de 1826 -1827.

temple vallon blog Jean-Yves Carluer

Le temple de Vallon-Pont-d’Arc, inauguré en 1823. Jean-Louis Meynadier y était pasteur en 1826.

    La deuxième prévention est plus sérieuse et appelée à durer jusqu’à aujourd’hui, en particulier au sein du catholicisme : « Les sociétés bibliques seraient « funestes à la religion », entendez «apostolique et romaine ». Pour reprendre l’exposé de la critique, « en répandant les Saintes Écritures, sans notes ni commentaires, comme elles le font, et en invitant par là même tous les chrétiens à les lire et à y puiser leur croyance, [elles] sont propres à produire autant de différences d’opinions religieuses, et autant de sectes qu’il y aura de lecteurs1 ». On aura reconnu le vieil argumentaire développé autrefois par Bossuet lui-même contre tout le protestantisme. Jean-Louis Meynadier répond que « l’unité de foi », aux yeux mêmes de bien des théologiens, est une chimère et qu’il est plus essentiel de viser à l’exactitude de celle-ci.

    Le troisième débat soulevé par Jean-Louis Meynadier est celui du trouble qui pourrait être posé par la lecture de certains passages, et reprend l’avertissement de l’apôtre Pierre : « Il est dans les Saintes Écritures des choses obscures et difficiles à entendre , que les ignorants et les personnes mal affermies et mal intentionnées tordent à leur perte ». Jean-Louis Meynadier rétorque, également avec la Bible, que « toute Écriture divinement inspirée sert à instruire, convaincre, corriger, former à la justice, à perfectionner l’homme et le disposer à toute bonne oeuvre ».

    Pour Jean-Louis Meynadier, la lecture de la Bible en entier est justement un moyen, même pour les esprits les plus innocents, de pouvoir prendre conscience à la fois du péché et du moyen divin de le surmonter.

    La quatrième objection introduite par le pasteur Meynadier contre les sociétés bibliques est plus complexe. Le projet de large diffusion des Écritures suppose à l’époque une standardisation poussée de la composition sous forme de coûteuses plaques stéréotypiques. D’où le choix d’une normalisation des versions imprimées. Les versions retenues étaient « celles en usage dans les Églises », comprenez la traduction de Luther en Allemagne, celle du roi Jacques en Angleterre et la Bible Ostervald en France. Or ces textes, déjà vieillissants, n’étaient pas sans défauts. Leur choix, pour reprendre l’expression utilisée par les détracteurs dans l’ouvrage de Jean-Louis Meynadier, « élève un obstacle invincible à la confection et à l’introduction dans les Églises d’une traduction qui réponde aux progrès et à l’état actuel de la science ». Le pasteur de Vallon balaie cet argument en notant qu’il n’en est rien et que de nouveaux textes sont en préparation.

     La quatrième attaque est frontale : les sociétés bibliques seraient animées d’un « grand esprit de prosélytisme sectaire » et seraient de ce fait plus ou moins révolutionnaires. L’auteur, reprenant un discours de Philippe Stapfer, y répond aisément en faisant remarquer que les sociétés bibliques sont très respectueuses des pouvoirs en place.

     Enfin, le pasteur Meynadier n’a guère de difficultés à répondre à l’accusation selon laquelle l’oeuvre biblique ne serait qu’une « adroite spéculation de commerce ». Le lourd déficit consenti pour répandre la Parole parle de lui-même.

Rendre le ministère protestant inutile ?

    Ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage qu’apparaît le coeur du débat, dans un appendice composé vraisemblablement en 1826, quand l’opinion protestante commence à se déchirer autour du mouvement naissant du Réveil en France, tandis que sont publiés les mandements du pape Léon XII, traitant les productions des sociétés bibliques « d’Évangile du démon ». Jean-Louis Meynadier résume pertinemment ces dernières attaques dans l’expression « De nos jours, des dites bibliques travaillent à rendre le ministère protestant inutile2 ».

    C’est fondamentalement, en effet, ce qui nourrit alors le ressentiment du clergé catholique comme d’un certain nombre de pasteurs libéraux protestants de l’époque contre les sociétés bibliques. Sans trop l’avouer au début, puis de plus en plus explicitement, ces ecclésiastiques sont arrivés à résumer le débat en un enjeu de pouvoir.

    Cet enjeu de pouvoir explique les réticences rencontrées ça et là par les collecteurs et les distributeurs bibliques de la part de quelques pasteurs qui revendiquaient pour eux le monopole de la vérité.

     Cette réalité a-t-elle changé aujourd’hui ? On me permettra d’évoquer un souvenir de jeunesse. Je me souviens d’un prédicateur qui exigeait de ses paroissiens de ne pas ouvrir une Bible pendant des homélies, soit disant pour ne pas se priver de l’oralité du texte qu’ils entendaient, et surtout de son commentaire. Je me suis aperçu ensuite que ce pasteur prenait en fait ses aises avec la version utilisée, non pas pour proposer une meilleure compréhension de l’original, mais pour appuyer des reconstructions a posteriori destinées à conforter ses propres théories…

    Luther, Reviens !

Jean-Yves Carluer

1J. L. Meynadier, Op. cit., p. 89.

2Cité d’après Le Mémorial catholique, t. II, p. 123.

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