Louis Gaussen (1790-1863)
François Samuel Robert Louis Gaussen était un pur Genevois. Il descendait, certes, de réfugiés huguenots du Languedoc, mais la famille s’était établie depuis longtemps sur les rives du Léman. Son père, George Marc Gaussen, était membre du Conseil des Deux cents. Consacré pasteur en 1814, à l’issue de ses études de théologie effectuées à Genève, le jeune Louis se trouva affecté deux ans plus tard à la grande paroisse de Satigny, à proximité immédiate de la cité de Calvin. Il est frappé par le deuil, sa jeune épouse perd la vie après un an de mariage. Louis Gaussen se lia avec son prédécesseur, Jean Isaac Cellerier, le même qui avait contribué à la conversion d’Auguste de Staël et de sa soeur Albertine de Broglie1.
Louis Gaussen avait été marqué en 1817, à la fin de ses études, par la prédication de James et Robert Haldane, venus d’Écosse, qui avaient suscité ce que l’on a appelé le « premier Réveil genevois ». La Vénérable compagnie des pasteurs, qui contrôlait la vie religieuse du canton, plus attachée aux philosophies des Lumières qu’à l’héritage de Calvin, avait immédiatement pris position contre ce mouvement, inaugurant un siècle de luttes théologiques en Suisse romande et, plus largement, dans le monde réformé francophone. Il en était résulté très tôt à Genève la création d’Églises indépendantes de tendance évangéliques comme celle du Bourg-du-Four et de communautés comme celle qui se réunissait au domicile de César Malan, qui deviendra bientôt la « Chapelle du témoignage ».
On en était resté là pendant plus de 10 ans. Bien des personnalités marquantes de 1817 ont quitté Genève : Ami Bost, Félix Neff et Henri Pyt, par exemple, qui exercent leur ministère en France.
A Satigny, Louis Gaussen, leur cadet, s’intéresse à la jeunesse et développe localement l’enseignement mutuel. Les premiers heurts concernent son refus du catéchisme officiel. Le jeune pasteur de Satigny préfère utiliser directement le texte de la Bible pour enseigner ses catéchumènes.
Le conflit prend progressivement de l’ampleur et Louis Gaussen, sommé par la Vénérable compagnie de reprendre l’usage du catéchisme officiel, refuse de se plier à une décision contraire à sa foi et à sa conviction. Louis Gaussen comprend qu’il faut prendre les devants s’il ne veut pas se retrouver seul et se faire exclure comme l’avait été César Malan. Il rassemble autour de lui un certain nombre de notables genevois et fonde le 19 janvier 1831 la Société Évangélique de Genève. Il y a là son collègue Antoire Galland et sept notables, dont quatre membres du Conseil souverain du canton, avec à leur tête le jeune colonel Henri Tronchin.
En dépit des accusations et, il faut bien le dire, des apparences, la Société Évangélique de Genève n’est pas une nouvelle Église. Elle ne l’est pas, mais elle devient bien plus, nous le verrons bientôt2.
Une polémique commence, orchestrée par le nouveau journal religieux devenu le héraut du libéralisme théologique, Le protestant de Genève. Louis Gaussen est interdit de prédication dans les temples officiels. Mais il dispose désormais d’une chaire plus prestigieuse encore car il organise, au sein de la Société Évangélique de Genève, une école de théologie appelée à un grand rayonnement. Il prêche dans un nouveau temple de 1000 places, édifié aux frais de ses amis, l’Oratoire de Genève. Il devient le théologien de l’évangélisme protestant, ou plus exactement de l’orthodoxie réformée, car son objectif est de revenir à la prédication de Calvin. Le maillon essentiel de cette vision est son ouvrage La théopneustie, ou la pleine inspiration des Saintes Écritures, qui paraît en 1840.
Le second Réveil de Genève, celui de 1831 est moins populaire que le premier. Il est marqué par le poids intellectuel et financier des grands notables, pasteurs et laïcs, qui prennent en charge la Société Évangélique de Genève. Il est plus durable aussi, car il s’est doté de remarquables structures associatives et a su déborder du simple cadre genevois qui l’avait vu naître. Il rayonne sur toute l’Europe francophone et inspire le renouveau de la distribution biblique.
1Julien Landel, « Transmettre le Réveil au début du XIXe siècle : trois lettres inédites du pasteur Cellérier à Auguste de Staël », Chrétiens et Sociétés, 2009, p. 55-73.
2Sur ce second Réveil de Genève, lire les articles de Jean Decorvet, directeur de l’Institut Emmaüs, ainsi que les ouvrages et études de Gabriel Mützenberg (1919-2002), en particulier Genève 1830 (1974) et A l’écoute du Réveil (1989).