1823 : Ami Bost et les débuts du colportage évangélique -1.
Il est difficile de dater avec précision les commencements du colportage protestant moderne. Divers historiens ont constaté qu’il apparaît, à peu près à la même époque, dans trois régions très différentes et plutôt éloignées entre elles.
Cette émergence intervient dans le nord du royaume, en Thiérache, au sein de groupes de convertis proches des communautés baptistes, mais également dans le Sud-ouest, autour de Saverdun, sur le Piémont pyrénéen et en milieu réformé. Nous avons déjà présenté ces tentatives sur ce site. Reste une troisième localisation, l’Alsace, peut-être la plus précoce.
Il est difficile de préciser un calendrier des faits. Les sources que nous en avons sont postérieures et consistent dans des témoignages individuels assez lacunaires. Il semble bien qu’il y ait une coïncidence de date, autour de l’année 1823 ou, peut-être même, du début de l’hiver 1822-1823.
Les trois organisateurs du colportage évangéliques, les évangélistes Ami Bost, alors à Colmar, son beau-frère Henri Pyt, en Thiérache, et Philippe Falle, de Calmont, le gendre de César Chabrand, se connaissaient bien et étaient tous les trois agents de la Société Continentale, ancêtre de toutes les institutions d’évangélisation contemporaines. Cet organisme souvent cité est hélas très peu connu dans son fonctionnement et son budget.
Mais la concomitance des tentatives et des méthodes indique bien que la professionnalisation du colportage évangélique répond au vœu de la Société Continentale qui prend d’ailleurs en charge les salaires de ces nouveaux agents. Les trois régions citées ont également des points communs : Le tissu protestant y est réel, mais avec un fort catholicisme interstitiel. Ce sont, enfin, des territoires traditionnels de colportage commercial. Il était intéressant de pouvoir compléter la distribution biblique désormais autorisée selon le système des collecteurs par un démarchage plus offensif, malgré les risques d’y rencontrer la gendarmerie.
A mon avis, le document fondamental sur la professionnalisation du colportage évangélique se trouve dans les Mémoires du pasteur et revivaliste Ami Bost (1790-1874). Ce texte est d’autant plus précieux que l’évangéliste genevois y précise sa définition du colportage évangélique protestant. Ami Bost fait bien la différence entre le colporteur professionnalisé et les distributeurs bénévoles de littérature biblique qui l’avaient précédé. Il cite par exemple son collègue, le pasteur Ehrmann, de Strasbourg, futur successeur de Félix Neff à Arvieux et le décrit comme « simple, populaire, actif, robuste et surtout très bon piéton, en même temps qu’affermi dans la foi vivante ». « Il parcourait l’Alsace avec les quatre ou cinq poches de son habit et le fond de son chapeau pleins de traités1 ».
Ami Bost lui-même s’était fait distributeur au cours des années 1820 à 1822 quand il était pasteur à Colmar : « Mes continuelles excursions en Alsace avaient aussi pour but de placer en divers lieux des dépôts de Bibles, de Nouveaux Testaments et de traités, que je répandais à profusion »2.
On aura remarqué une différence de taille entre les collecteurs des sociétés bibliques et ces précurseurs des colporteurs.
Les collecteurs sont sensés approvisionner les protestants en Livres saints. Les agents de la Société Continentale y ajoutent une distribution systématique de traités et autres tracts, par nature plus polémiques, présentant explicitement les enseignements du Réveil.
Revenons au texte d’Ami Bost :
Il paraît que vers cette époque, l’idée du colportage se présenta simultanément à plusieurs personnes à la fois : car je vois dans la vie de mon beau-frère Pyt qu’il s’occupait alors du même objet avec la Société Évangélique de France3.
Il est probable qu’il ignorait ce que je faisais à cet égard, comme aussi je ne découvris que plus tard les démarches de la société et les siennes. Quoi qu’il en soit, je me rappelle qu’en sus du colportage de fait qui avait déjà lieu, soit par le ministre Ehrmann, dont toutes les poches et le fond de chapeau étaient toujours pleins de traités, soit par plusieurs frères répandus dans la contrée, soit par moi-même, j’eus l’idée d’employer un homme exprès pour cet objet ».
1Ami Bost, Mémoires, p. 227.
2Idem, p. 251.
3Ami Bost fait ici une erreur de date, car la Société Évangélique de France n’a été organisée qu’en 1833. L’évangéliste fait sans doute allusion aux milieux du Réveil parisien, autour de la chapelle Taitbout, d’où sortiront la Société Évangélique de France et la Société Biblique Française et Étrangère. L’historien André Encrevé appelle fort justement ces Revivalistes, « le groupe du Semeur », du nom du journal fondé par le banquier Henri Lutteroth