Hélène Biolley -1

Secrets de famille…

     La plus célèbre des pionnières du pentecôtisme français est faussement bien connue. Un certain nombre d’informations sur sa vie nous sont parvenues dans la mesure où elle a confié à ses « neveux » spirituels des familles Davout et Gallice un recueil de mémoires intitulé « Ses promesses sont certaines », que le lecteur pourra consulter en partie sur le WEB1.

Les anecdotes abondent, le tout est fort édifiant. Mais l’historien est frustré : ce recueil ne répond pas à un certain nombre de questions élémentaires. Bien des aspects de la vie d’Hélène Biolley restent dans l’ombre, soit par oubli, soit par volonté de tracer de l’évangéliste du Ruban Bleu du Havre, un portrait volontiers hagiographique. Pour donner un exemple de la méconnaissance que nous avons de la vie d’Hélène Biolley, la notice qui lui est consacrée dans la deuxième édtion du très officiel International Dictionary of Pentecostal Charismatic Movement est largement fausse ou très approximative, à commencer par ses dates de naissance et de décès2 !

     Je voudrais ici tracer un portrait plus précis de notre pionnière, et je me suis appuyé pour cela aussi bien sur des archives familiales privées dont je disposais, que sur les études menées par les chercheurs des sociétés neuchâteloise et vaudoise de généalogie, que je voudrais particulièrement remercier ici.

    Nous commençons logiquement par le milieu familial de notre pionnière.

    Léa Cécile Hélène Biolley (Turin, 27 août 1854 – Saint-Aubin-Sauges dans le canton de Neuchâtel, 19 juillet 1948) est née à Turin au sein d’un groupe social très favorisé que l’on peut rattacher à la bourgeoisie d’affaires du canton de Neuchâtel. Elle était la petite-fille du  major Daniel Dubied (1758-1841).

interdiction de l'absinthe en Suisse

Allégorie sur l’interdiction de l’absinthe en Suisse, votée en 1910. L’illustrateur a figuré la « fée verte », à terre, frappée à mort. Le coupable est un pasteur peu sympathique, dans le rôle de bourreau. L’insigne de la Croix bleue, qui avait fortement milité pour cette interdiction est figuré sur la poitrine du bourreau et sur l’arme du crime….

    Ce Daniel Henri Dubied, chef de milices du Val-de-Travers, est localement célèbre à deux titres : C’est un héros des luttes pour l’indépendance du canton, c’est également l’inventeur qui lança la fabrication industrielle d’une liqueur qui connaîtra une certaine renommée, l’absinthe. Les petit-fils du major manifestèrent quelques scrupules vis-à-vis de la commercialisation de « la fée verte », c’est son gendre Henri-Louis Pernod qui développa du côté français de la frontière, à Pontarlier, une liqueur, version atténuée de la première, qui porte encore aujourd’hui son nom. Ruth Salwey, fille d’un pionnier des Assemblées de Frères en France, et qui fut la confidente pendant deux ans d’Hélène Biolley au Ruban bleu du Havre, au début des années 1920, nous livre un de ses secrets :

« Mademoiselle Biolley [était] la petite-fille des fabricants originaux de l’absinthe, le plus virulent et asservissant des alcools qui enchaînent l’esprit des humains et dégradent leur âme. Tout comme ses parents, elle avait été horrifiée de ce que ses aïeux avaient bâti leur fortune sur la commercialisation d’une liqueur responsable du naufrage moral de centaines d’hommes et de femmes. Hélène Biolley décida de s’engager dans une action de tempérance dans les rues et les arrière-cours sordides, quoique pittoresques, du Havre. Elle se dota non seulement d’une salle pour l’évangélisation, mais aussi, avec l’aide d’une équipe compétente, d’un hôtel-restaurant sans alcool appelé Le Ruban bleu, situé place de l’Arsenal. Sa piété et son amour brûlant pour les malheureux et les blessés de la vie abandonnés dans cette ville lui valurent les titre « d’Apôtre du Havre3 ».

    Il faut croire qu’Hélène Biolley ne fut pas la seule de sa famille à réagir ainsi, puisque son cousin, le pasteur Charles Daniel Junod, présida le comité international de la Croix-Bleue entre 1929 à 1941.

     Parlons un peu du réseau familial centré sur la commune de Couvet, dans le Val-de-Travers, non loin de la frontière française. Quatre lignages s’entrecroisent au XIXe siècle autour du clan Dubied. Une des descendantes du major, Henrietta Anna , avait épousé un jeune industriel, François Alexis Biolley, qui était parti tenter fortune à Turin, au Piémont. On trouve parallèlement d’autres liens croisés avec les Junod et les Courvoisier.

usine Dubied Couvet in blog de Jean-Yves Carluer

Publicité pour les machines Dubied, vers 1920, avec évocation des usines de Couvet, sur le sol.

    Ces familles habituellement nombreuses et fortement endogames se trouvaient fatalement à l’étroit dans le Val-de-Travers. La bonne stratégie économique, déjà largement utilisée au sein de la bourgeoisie suisse au XVIIIe siècle, était de détacher quelques jeunes du groupe à l’étranger. Pour le généalogiste Hugues Scheurer, cela correspondait à la « nécessité de s’intégrer dans une économie de diaspora. Cette politique d’appropriation de nouveaux marchés répondait à la nécessité d’assurer un approvisionnement en matières premières et d’écouler les produits fabriqués dans le pays d’origine 4». Le destin du jeune François Alexis Biolley en était une parfaite illustration. Mais son choix d’investir ses capitaux dans des fonderies et des laminoirs près de Turin n’était pas une bonne idée en 1850, car la métallurgie lourde se révélait alors une activité fortement capitalistique où il était de plus en plus difficile de réussir. Son cousin Henri Edouard Dubied fut plus chanceux ou mieux avisé, comme on voudra, puisqu’il prit le chemin de la France. Après avoir été ingénieur dans une usine de constructions mécaniques au Havre et à Paris, il acquit le brevet des aiguilles à tricoter à bascule. Edouard Dubied & cie devint en un siècle une énorme entreprise, leader de la machine à tricoter suisse, qui employa près de 3000 ouvriers à Couvet et Neuchâtel.

    Léa Cécile Hélène Biolley naquit donc à Turin, bientôt suivie de 6 frères et sœurs entre 1856 et 1867.

(A suivre)

1Préférer la version intégrale qui débute par « Souviens-toi des jours d’autrefois ».

2International Dictionary of Pentecostal Charismatic Movement, p. 417-418.

3Ruth Salwey, The Beloved Commander, Londres, 1962, p. 151.

4 Hugues Scheurer : Étude-prosopographique-de-familles-neuchateloises-actives-dans-lindustrie-horlogère. Sur le site de la Société neuchâteloise de généalogie.

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