Les sociétés d’évangélisation méconnues du XIXe siècle (2) : la Scripture Gift Mission à Paris (1)

    En 1885, l’édition et la diffusion bibliques sont confrontées en Europe à un double problème : d’un côté la société bascule progressivement dans une civilisation de l’écrit. Les lois scolaires répandent l’instruction jusqu’au fond des campagnes, les journaux se banalisent, les kiosques de gares offrent des revues et ouvrages à bon marché, devenus rentables par les progrès de l’imprimerie. D’un autre côté, l’offre de Bibles progresse, mais les sociétés bibliques, dont l’essor date déjà d’un bon demi-siècle, sont handicapées par de multiples contraintes, en particulier en Grande-Bretagne : monopole de l’impression à Oxford, respect de traductions obsolètes… Une certaine routinisation s’est installée, comme souvent. Des avancées ont été certes réalisées, comme la mise en place de supports à bon marché (petits Évangiles de distribution, etc), mais l’énergie des sociétés bibliques est fondamentalement absorbée par le grand dessein fixé dès l’origine : proposer la Parole de Dieu « jusqu’aux extrémités de la terre » dans de nouvelles langues.

 I.    La Scripture Gift Mission : le deuxième souffle de la diffusion biblique.

     William Walters était un petit imprimeur de Birmingham, qui, outre son activité commerciale habituelle de quartier, utilisait ses presses pour publier les ouvrages de J. N. Darby, de William Kelly ou de C. H. Mackintosh. En un mot, c’était un fervent darbyste, cette confession issue du « Réveil » évangélique, appelée en Grande-Bretagne les Brethen (Assemblées de Frères de Plymouth), très attachée à la Bible, tournée vers une attente eschatologique proche, réfractaire à toute idée de clergé, même pastoral, et volontiers séparatiste. En cette année 1885, William Walters est amené à infléchir sensiblement son engagement  Est-ce à la suite d’un conflit local avec son assemblée ? Quelques éléments permettent de le penser. C’est l’époque où les Assemblées de frères se déchirent encore entre les Exclusive Brethen (Frères « étroits ») et les Open Brethen (« Frères larges ») qui étendent leurs relations à l’ensemble du monde évangélique. C’est du côté de ces derniers que se situe William Walters. Il a décidé de se mettre au service de l’évangélisation protestante et de la diffusion des Écritures.

    Comme il vient de disposer d’une certaine somme d’argent, il établit son entreprise à Londres, Paternoster Row, près de la cathédrale Saint-Paul. Il y rencontre de nombreuses personnalités religieuses du temps.

James Clark. Jeune fille allant cherchant l'eau à la source.

James Clark. Jeune fille allant cherchant l’eau à la source.

   William Walters développe alors un projet ultra-moderne pour l’époque. Il sera résumé plus tard par sa fille Elisabeth : « Comme il étudiait [sa Bible] quotidiennement, il l’aimait de plus en plus, et aspirait à en faire partager aux autres les trésors inestimables. A cette époque, les Saintes Écritures étaient imprimées avec des présentations bien ternes. Comment pourrait-il les rendre attractives, de sorte que l’homme de la rue ait envie de les lire ? Après avoir beaucoup prié et réfléchi, il eut l’idée de les illustrer par des scènes et des paysages du Moyen-Orient de son temps. M. Henry Harper[1] accepta de lui fournir de telles illustrations de la Palestine. Ensuite, M. James Clark[2] fut engagé dans le projet. Il était particulièrement doué pour les représentations de personnages. Après bien des prières, on trouva l’argent pour lui faire faire un voyage en Palestine. A son retour, on sélectionna les images les plus attrayantes, d’abord pour les Évangiles de distribution, puis pour le Nouveau Testament, et enfin pour une Bible complète, achevée juste avant le départ de mon père pour le Ciel, en 1907[3] ».

William Walters à son bureau devant sa galerie d'illustrations

William Walters à son bureau devant sa galerie d’illustrations

   Comme beaucoup d’innovateurs en Évangélisation protestante, le créateur de ce qui allait devenir la Scripture Gift Mission en 1888 combinait des qualités décisives : un profond engagement spirituel, une parfaite information des attentes de la société de son temps, la maîtrise d’un domaine technique (ici l’impression lithographique de masse de haute qualité), des qualités de gestionnaire, l’aisance dans les relations humaines. Il fallait aussi beaucoup de Foi, car les petits Évangiles illustrés devraient être, non pas achetés, mais offerts ! C’est le sens même du titre de l’œuvre : la « Mission de distribution gratuite des Écritures ».

    Aux Sociétés Bibliques qui lui reprochèrent d’opérer sans contrôle des distributions « d’imprimés du Livre Saint », au risque de les voir ensuite piétinés par des moqueurs, Henry Harper répliqua que c’était finalement l’essence même de la Foi chrétienne : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». Le Christ n’avait-il pas également été piétiné par les adversaires de l’Évangile ?

    Sur le plan organisationnel, Henry Harper introduisit dès l’origine dans son comité les représentants évangéliques les plus en vue de l’Église d’Angleterre : l’archidiacre W. Sinclair, le prébendary[4] Webb-Peploe, les évêques Taylor Smith et Handley Moule, sans oublier des personnalités diverses comme George Williams ou les pasteurs F. B. Meyer et G. F. Pentecost. Cela lui permit d’obtenir de nombreux et puissants appuis. L’œuvre devint une entreprise commune au protestantisme anglo-saxon, avec un développement fulgurant. Elle avait distribué un total de deux millions d’Évangiles en 1895 (en six langues dont le français), plus d’une centaine de millions en 1940, dont 45 durant la seule guerre 14-18 et 11 pour la seule année 1936[5]. Elle engloba, on l’a vu, le Crystal Palace Bible Stand, mais aussi The Book Society, et The Naval and Military Bible Society.

    En un peu plus d’un siècle, la Scripture Gift Mission (SGM) a fourni des centaines de millions de textes, en plus de 1000 langues. Elle a développé rapidement une dimension internationale et est connue aujourd’hui sous le signe SGM Lifewords. Si vous vous rendez sur son site internet, vous remarquerez une particularité très rare : votre chariot de commande d’imprimés restera toujours sur un total de 0 euros, y compris les frais de port. Mais un texte vous avertira : « Vous ne verrez ici aucun prix d’indiqué, parce que quelqu’un d’autre a déjà couvert le prix de votre commande. Mais considérez aussi, dans la prière, la possibilité de faire un don, afin que d’autres, en particulier ceux qui ont le plus besoin de nos ressources, reçoivent également gratuitement ».

   La SGM avait établi une antenne à Paris dès 1901, au 4, rue Clavel, gérée par des colporteurs britanniques itinérants comme Joseph Dutton ou le Commodore E. A. Salwey, personnages hauts en couleur, prédicateurs de rue, hommes-sandwitch, secrétaires-diffuseurs de littérature et cadres des premières Assemblées de Frères de Paris, aux origines de l’Union d’Églises C.A.E.F. d’aujourd’hui. Ce sera un prochain billet sur ce site.

 Jean-Yves Carluer

________________________________________________________________________________

[1] Henry Andrew Harper (1835-1900).  Expose ses aquarelles à la Royal Academy à partir de 1865. Se spécialise dans les sujets orientaux en 1872. Ses œuvres sont caractérisées par « une exactitude quasi littérale » (Gérald M. Ackerman, Les orientalistes de l’école britannique, Acr Edition, 1991, p. 322). Plusieurs de ses œuvres sont visibles sur le site www.the-athenaum.org

[2] James Clark (1858-1943), professeur d’art de la reine Alexandra. Auteur de nombreuses huiles. Un ouvrage de reproduction de ses œuvres orientalistes est téléchargeable sur le Web : Pictured Palestine by James Neil ; with eighty illustrations by James Clark.

[3] Cité dans SGM, Publishing Salvation, the story of the Scripture Gift Mission, London, 1961, p. 11-12.

[4] Prebendary (prébendier) : ecclésiastique britannique titulaire d’une chaire universitaire.

[5] Phillis Thompson, Freely Given, the story of Scripture Gift Mission, London, 1987

Henri Harper. Vue de Jérusalem

Henri Harper. Vue de Jérusalem
Ce contenu a été publié dans Histoire. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Les sociétés d’évangélisation méconnues du XIXe siècle (2) : la Scripture Gift Mission à Paris (1)

  1. wilner jean dit :

    Je veux avoir des brochures pour réaliser un projet d’ evangeliser 10000 eleves j’aimerais avoir votre aide pouf réaliser ce projet

Répondre à wilner jean Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *