Un aumônier des marins au Havre en 1835 (2)

Sur les quais du Havre, hiver 1835 (2)

      Nous poursuivons le récit du pasteur David De Forest Ely, aumônier des marins américains dans le port du Havre, au cours de l’hiver 1834-1835. Rappelons qu’il était au service de la Mission des marins Béthel de New-York. Parlant avec aisance notre langue, il pouvait également apporter son aide à nos compatriotes. Son ministère correspond à une des premières tentatives de ce que l’on pourrait définir comme une action de Christianisme social dans notre pays.

(suite de http://le-blog-de-jean-yves-carluer.fr/2014/06/20/sur-les-quais-du-havre-automne-1834/

Jean-Yves Carluer

     « 19 janvier 1835 : J’ai visité plusieurs navires et parlé aux matelots pour les inviter à s’occuper de la seule chose vraiment nécessaire [leur âme]. Ils commencent généralement par avancer des excuses. Mais un jeune homme, quand j’ai commencé à parler du Jugement dernier et de l’Éternité, parut touché comme si une flèche lui avait transpercé la poitrine. Je n’avais jamais constaté un tel impact, c’était merveilleux. Les Vérités divines sont certainement plus aiguisées qu’une épée à deux tranchants. Que le Saint-Esprit fasse de ces paroles une bénédiction pour son âme ! Un autre jeune homme me dit qu’il était trop jeune pour s’occuper de la religion ; un autre qu’il se débrouillera dans l’Éternité aussi bien que les autres. Hélas ! Que le Seigneur leur ouvre les yeux !

L'entrée des bassins du Havre

L’entrée des bassins du Havre et la tour François 1er au milieu du XIXe siècle

14 février 1835 : Je suis allé du côté des docks. En m’approchant du ***, j’ai rencontré un homme sur le quai… Je lui ai demandé s’il était le capitaine, et il m’a répondu positivement. Je lui ai expliqué que j’étais l’aumônier du port et lui ai demandé s’il avait déjà porté intérêt aux choses spirituelles. Il m’a répondu qu’il le faisait quelquefois, qu’il allait dans une église en Amérique, etc… Je l’interrogeai sur son équipage. Selon lui, c’était une équipe très médiocre, composée essentiellement d’étrangers. Il me fit remarquer que la condition des marins est à peu près sans espoir, qu’il y avait bien peu à attendre des efforts qu’on leur consacre: ils ne veulent pas suivre les avis de leurs officiers et préfèrent croire les boniments des tenanciers […]

     Je me suis approché ensuite d’un brick, et suis monté à bord. J’ai rencontré le matelot de garde et lui ai demandé si le capitaine était à bord. Il ne l’était pas. Je lui ai demandé s’il fréquentait les lieux de culte quand il était à terre. Il me répondit positivement et promis d’aller à la réunion demain. »

     L’aumônier continue ensuite sa tournée et visite ainsi plusieurs navires…

      « Après la prédication de hier soir, j’ai rencontré un marin très gravement affecté par une crise de delirium tremens consécutive à deux ou trois jours de grande beuverie à New-York […] Il entend maintenant d’horribles bruits et voit toutes sortes d’affreuses images, et n’a pratiquement pas dormi depuis qu’il a quitté New-York. Il était à peu près sûr que le démon allait passer le prendre. C’est pourquoi il a demandé à s’entretenir avec moi […] Je l’ai informé de la nature et de la cause de sa maladie, je l’ai mis en garde contre les alcools, je l’ai dirigé vers le Grand Médecin et ai prié avec lui. Il m’a dit que sa mère était une pieuse femme baptiste qui est maintenant, pensait-il, auprès du Seigneur. Quant à lui, il savait qu’il était un grand pécheur et qu’il méritait l’enfer.

     Pour sauver et réformer le marin, ce serait tellement plus facile […] si l’on pouvait stopper ces entreprises de malheur, de maladie et de mort que sont les débits de feux liquides distillés.

     J’ai visité la prison aujourd’hui. Le jeune marin enfermé pour outrage à la force publique est encore là. Il vient d’être jugé et a été condamné à un mois d’incarcération supplémentaire.

      21 mars 1836 : un pauvre marin français a demandé hier mon aide. C’était un brave et beau garçon, d’allure honnête. Il s’était fracturé sa jambe en deux endroits peu de temps auparavant et était resté jusque-là à l’hôpital. A peine peut-il se déplacer en boitant qu’il m’a sollicité pour obtenir le moyen de retourner dans se contrée d’origine, près de Rouen. Il a été obligé de vendre toutes ses affaires pour payer les frais d’hospitalisation. La détresse de ce pauvre garçon le prenait à la gorge et les pleurs montaient à ses yeux quand il me racontait son histoire. Il avait imploré ceux dont le devoir était de l’aider, supposait-il, et s’était même mis à genoux pour obtenir de l’aide, mais en vain. Ayant entendu parler de la chapelle des marins (Béthel), il pensait s’adresser ici […]

     Je lui ai donné une petite aide, regrettant de ne pas avoir les moyens de lui offrir toute la somme dont il avait besoin […] Je lui ai communiqué les adresses de plusieurs commerçants, en lui demandant de se recommander de moi […] Il sembla quelque peu encouragé. Qui sait, une chapelle pourra peut-être un jour être ouverte ici pour les marins français, une chapelle financée par des chrétiens américains. Si on pouvait édifier un tel lieu de culte, il pourrait servir pour prêcher aux gens de mer des deux peuples américains et français. Ce serait un grand bonheur de voir des offices se succéder dans les deux langues, et un auditoire laisser la place à un autre. Que le Seigneur fasse que cela ait lieu !»

     David De Forest Ely, The Sailor’s Magazine and Naval Journal, 1835, pp. 97-99.

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