Des Nouveaux Testaments par la poste ! (1)

     « C’était peu de temps avant les tristes événements de 1870 ; les choses allaient mal en France. Malgré la censure et les lois draconiennes sur le colportage, le poison de la superstition, de l’incrédulité et de la mauvaise littérature se répandait extrêmement chaque jour et jusque dans les endroits les plus reculés, par livres et journaux… En comparant ce que les ennemis de l’Evangile faisaient, jour après jour, pour ensemencer ainsi le sol de France, avec le travail de 120 à 140 colporteurs bibliques (de toutes sociétés), dispersés dans les 86 départements français, nous étions oppressés de douleur… Que faire alors ?

évangélisation par la poste

Bulletin de la Société d’évangélisation par l’envoi de livres par la poste, 1883.
Document : Bibliothèque du protestantisme français.

     Le souvenir des travaux de la Monthly Tract Society de Londres nous mit sur la voie de l’œuvre dont nous allons vous entretenir. Cette société se propose d’envoyer mensuellement, par la poste, des traités à des personnes dont on lui fournit des adresses. La poste, nous dîmes-nous, est un agent neutre qui répand le mal, mais qui peut aussi répandre le bien ; pourquoi dès lors, ne pas l’employer pour disséminer de toutes parts la semence de la vérité[1] ?

      Comme ce fut le cas pour beaucoup d’autres initiatives d’évangélisation protestante dans la France du XIXe siècle, l’idée de l’œuvre d’Evangélisation par l’envoi de livres par la poste  était d’abord apparue en Grande Bretagne.

      Depuis le début du XVIIIe siècle, la vénérable Society for promoting of Christian Knowledge, fondée en 1698, s’attachait à éditer et à distribuer Bibles et Livres de piété dans les Îles britanniques. Le Réveil évangélique méthodiste y avait ajouté l’impression et la distribution de petits livrets. Au moment même où se préparait la formation de la Société Biblique, naissait la Religious Tract Society (RTS, 1799), énorme institution qui essaimera bientôt sur toute la planète. La RTS eut bientôt ses propres dépôts dans notre capitale, sans compter le parrainage de sociétés filles comme la Société des Traités Religieux (STR), dite de Paris, fondée en 1821.

      Comme l’indique le premier rapport de la STR, l’objectif de cet organisme est de « contribuer aux progrès de la piété et de la morale, en répandant, soit à bas prix, soit gratuitement, de petits écrits toujours basés sur l’Évangile, toujours en harmonie avec ses préceptes et avec sa doctrine, et plus particulièrement destinés à l’éducation de cette classe nombreuse, qui a été détournée« [2]… Les milieux populaires représentaient donc le coeur de cible, comme on dirait aujourd’hui, de cette évangélisation par l’imprimé. Inutile d’ajouter que le souci d’alphabétisation allait de pair avec celui de la diffusion.

      Une autre société protestante française essaya d’atteindre plus spécifiquement les classes moyennes. La Société des Livres Religieux, dite de Toulouse, avait été fondée en 1831 par les frères Courtois, banquiers dans la ville rose, et représenta bientôt la principale maison d’édition réformée[3].

Une nouvelle forme de diffusion

      Les Britanniques eurent l’idée, dès 1837, d’utiliser les services postaux pour expédier régulièrement de petits livrets de piété aux familles nécessiteuses. Ce serait le revivaliste David Nasmith qui aurait fondé l’oeuvre de l’English Monthly Tract Society, située sur le Red Lion Square. Après sa mort prématurée, son successeur, John Stabb, donna une nouvelle orientation à l’institution. La classe moyenne devenait désormais la cible principale. Ce souci de la religion des élites est caractéristique de la période victorienne. Une revue britannique ironisait dès 1841 sur la nouvelle orientation de l’English Monthly Tract Society : « il faut sauver l’homme riche au moment d’enveloppes : des paquets d’aspect élégant et parfumé, contenant des ouvrages d’essais et de mémoires, sous la forme la plus attractive, de façon à inciter le public cultivé et aux goûts raffinés à les lire[4]… »

      C’est donc ce principe d’une distribution de livres chrétiens aux élites françaises par la poste qui est repris en 1871. Quelques protestants genevois, dans la mouvance de la Société Évangélique de Genève (SEG) et de la Société pour la Sanctification du Dimanche, créent ainsi en 1871 une nouvelle œuvre de diffusion de la foi protestante, dont la cheville ouvrière est Jean-Philippe Dardier, qui était le directeur du colportage de la SEG. L’initiative s’inscrit dans la même démarche qui avait présidé à la création de la Société Évangélique de Genève quarante ans plus tôt : même analyse religieuse et sociale de la société française, même inspiration anglo-saxonne, même inscription dans la liberté et la modernité :  il faut profiter le plus possible des facilités actuelles pour faire parvenir au plus grand nombre la vérité évangélique, que tant d’hommes ignorent non loin de nous [5]. Même référence gestionnaire également :  il doit y avoir un réel profit à une si dispendieuse dissémination pour que tant de commerçants persévèrent à la faire.

L’originalité du nouvel organisme est de s’intéresser en priorité aux élites : Considérons… que si les colporteurs atteignent beaucoup de personnes, il en est un nombre très considérable qui leur échappent surtout dans les classes élevées de la société. Si l’Évangile est destiné au pauvre, à l’ouvrier…, il l’est cependant aussi au riche et à l’homme cultivé. Or un des meilleurs moyens d’atteindre ceux-ci nous paraît être l’envoi d’un bon livre par la poste[6]. Là encore, les Genevois paraissent bien au fait des mutations sociales en cours. Au moment même où Léon Gambetta saluait en France l’émergence des classes moyennes, laborieuses et instruites, futures bases de la République, les protestants suisses se préoccupaient déjà de les fournir en Bibles et ouvrages d’inspiration évangélique ! Pressentant tout l’enjeu à venir, ils ciblaient ce que nous appelons aujourd’hui des médiateurs culturels, en particulier les magistrats et les instituteurs publics. Ces derniers ont tous reçu un Nouveau Testament par la poste au cours des années 1880. Une histoire que nous raconterons une autre fois.

    Jean-Yves Carluer

[1] Oeuvre d’Évangélisation par l’envoi de livres par la poste, Bulletin d’information, 1883, pp. 5-6.

[2] Rapport sur les opérations du comité de la Société des Traités Religieux, T. 1, 1823, pp. 3-4.

[3] On se reportera pour cette oeuvre à notre article mis en ligne sur le site de la Faculté Libre de théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine : Jean-Yves Carluer, Théologie Évangélique, « Les enjeux culturel de l’évangélisation protestante au XIXe siècle », 2007, pp. 203-228. Lien :

[4] The British Critic and Quarterly Theological Review, vol. XXIX, Avril 1841.

[5] Oeuvre d’Évangélisation par l’envoi de livres par la poste, Bulletin d’information (vers 1880, p. 6.

[6] Idem, p. 6.

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4 réponses à Des Nouveaux Testaments par la poste ! (1)

  1. kabore Luc dit :

    juste vous souhaité beaucoup de courage mon Pasteur!
    j’aimerai aussi être un évangéliste comme vous. pour le moment je travaille comme distributeur de littérature biblique au plus pauvres de ma ville. soyez continuellement bénis mon pasteur.
    Luc Gerald Kabore du Burkina Faso.

  2. Etienne dit :

    Je vous salut dans le nom du Seigneur. je suis un responsable d’un groupe d’évangélisation au Burkina Faso. et nos évangélisation progresse comme suite: par des projections, des distributions des traités et bien d’autre encouragement dans le but de propager l’évangile du salut!
    alors ma prière pour vous est que Dieu vous bénisse et vous élevez d’avantages afin que vous soyez une source ou nu canal par le quel vous serez une bénédiction pour plus de personnes demeurez dans l’abondance du Père céleste!!!
    mon mail: yienugu.gadou@yahoo.fr
    BP 355 Ouagadougou 01
    je vous remercie!!!

  3. jean-marc 0mou kokou dit :

    Bonjour,
    Que la paix et la grâce soient avec vous.
    Je suis Missionnaire togolais de l’Eglise du Christ.je souhaite vivement avoir des Bibles ou NT pour l’Evangelisation.
    Beaucoup de courage et je serai ravi de vous lire.
    Jean-marc Omou
    BP 565Kpalime Togo

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