Le Tour de France de Robert Pinkerton

Faire naître des sociétés bibliques auxiliaires en France (1819).

     A peine formée, la Société Biblique de Paris s’attacha aux deux missions prioritaires qui l’attendaient.

     La première, bien sûr, était de recenser toutes les Bibles et tous les Nouveaux Testaments français disponibles à la vente. Fort heureusement, grâce aux tirages effectués par Frédéric Léo et de César Chabrand, il y avait de quoi faire face aux besoins immédiats.

     La deuxième mission était tout aussi essentielle. Le comité savait que la force et l’élan de la grande société mère de Londres provenaient de son vaste réseau de milliers d’œuvres auxiliaires qui couvrait toutes les Îles britanniques. La remarquable structure mise au point par Charles Dudley, qui associait bénévolat, autonomie locale et contrôle par la capitale était la clé de l’essor de la diffusion biblique. Nous avons eu l’occasion de présenter Charles Dudley et son oeuvre brièvement sur ce site.

     Le comité parisien s’attacha donc à reproduire de modèle dans notre pays, d’abord de façon informelle, puis de plus en plus organisée. Il s’en explique lors de l’assemblée générale de 1822 :  » Nous appuyant sur le glorieux exemple de l’Angleterre, nous avons proposé à nos coreligionnaires un plan simple […] Ce plan consiste à former, dans les divers départements où la population protestante est assez nombreuse, des sociétés auxiliaires de la nôtre ; ces sociétés auxiliaires organisent à leur tour, sur divers points de leur ressort, des sociétés branches qui correspondent avec elles… » [1].

     La Société britannique est partie prenante dans ce projet, d’autant qu’à l’époque elle finance à peu près entièrement son homologue parisienne. Son schéma habituel de fonctionnement souple l’amène d’ailleurs à voir alors dans l’œuvre de Paris un simple échelon intermédiaire dans une vaste analogie arbustive. On trouvera donc des racines à Londres, un tronc à Paris, des charpentières (ou auxiliaires) par centaines de Nantes à Mulhouse, des sociétés-branches jusqu’à Mialet ou Mérindol, des associations locales comme rameaux, des collecteurs comme brindilles et enfin, les lecteurs de la Bible comme autant de feuilles tournées vers la Lumière.

     Chose extraordinaire dans un protestantisme français qui sort épuisé d’un siècle et demi de persécutions, de guerres, et, il faut bien le dire, de relativisme dans la Foi, ce plan va se réaliser. En quelques années, de 1818 à 1830, la Société Biblique de Paris a mobilisé près de 10.000 bénévoles qui ont apporté les Écritures Saintes à tous les foyers protestants !

 Un agent de la Société de Londres à l’oeuvre

Robert Pinkerton

Robert Pinkerton, « agent principal de la BFBS dans l’espace germanique », article de Wayne Detzler (Sowing the Word, Sheffield Press, 2004).

     C’est un pasteur écossais de 39 ans qui est chargé de convaincre les consistoires de province. Robert Pinkerton[2] (1780-1859), docteur en théologie, était le plus actif des agents itinérants de la Société Biblique Britannique et Étrangère, selon les propos mêmes de son président, Lord Teignmouth. Il avait déjà contribué à fonder la Société Biblique de Russie en 1813. Il s’établira après 1830 à Francfort pour coordonner la diffusion des Saintes Écritures en Europe centrale.

     Robert Pinkerton entreprit au printemps 1819 un voyage dans les départements du Midi pour y susciter la création de sociétés bibliques locales. Il visita l’arc protestant, de Nantes à la vallée du Rhône et les Alpes, selon l’itinéraire classique qui contournait le Massif central par le sud. Son voyage se fit sous le double patronage de la société britannique et de celle de Paris. Il était pourvu de lettres de recommandations du comité parisien aux présidents de toutes les Églises consistoriales protestantes. Selon les archives de la Société de Paris, celle-ci le chargea de « nourrir le zèle des protestants qu’il aurait l’occasion de voir et de provoquer, dans les contrées où il passerait, la formation d’associations bibliques qui secondassent les travaux de celle de Paris« [3]. Robert Pinkerton rencontra donc un certain nombre de présidents de consistoires, de pasteurs et quelques grands laïcs protestants. Il put même, le cas échéant, présenter dans les temples les projets de la Société de Paris.

     Selon le rapport de 1819, Pinkerton rencontra partout un accueil chaleureux. Mais l’examen attentif de sa correspondance avec Paris oblige à formuler de sérieuses nuances. Si certains responsables locaux sont enthousiastes, d’autres sont plus réservés. Les choix opérés par la Société Biblique de Paris de limiter l’œuvre aux seuls protestants ou de ne publier que des textes sans notes ni commentaires, n’étaient pas partagés par tous. Nous savons qu’ils étaient le fruit obligé de multiples contraintes, et il fallait les expliquer sans cesse.

    C’est, par exemple, ce qui réalisa Robert Pinkerton à Montauban, où une oeuvre biblique existait déjà : « A Montauban, les amis de la Bible n’ont pas encore reçu la réponse du gouvernement, mais ils commencent à penser qu’ils n’obtiendront pas la permission de distribuer les Saintes Écritures à tous, protestants et catholiques indistinctement. Je leur conseillai de s’affilier comme société auxiliaire à celle de Paris; les uns y consentirent et les autres s’y refusèrent. J’espère cependant qu’en correspondant avec eux, votre comité parviendra à leur faire prendre cette résolution, car autrement je ne vois pas ce qu’ils pourraient faire« [4].

     Les responsables de la Société biblique de Montauban, qui existait depuis 1817, se trouvaient devant un choix cornélien. Les plus « réveillés » d’entre eux, poussés sans doute par Robert Haldane qui séjournait alors dans la ville, entendaient forcer la main à l’administration royale et lui imposer l’acceptation de la diffusion de la Bible aux catholiques. Les autres, réalistes et découragés d’attendre une autorisation qui ne venait pas, étaient prêts à rentrer dans le système de la Société de Paris et limiter leur action aux seuls protestants. Robert Pinkerton plaida apparemment en ce sens. Il l’emporta finalement. Peut-être laissa-t-il entrevoir le projet d’une solution destinée à rassurer les premiers partisans du Réveil : la société biblique britannique ouvrit en effet à titre privé une agence à Paris. Dirigée par le professeur Kieffer, elle procura dès 1820 des Bibles à ceux qui voulaient les proposer aux catholiques.

     La tournée de Robert Pinkerton de ville en ville, appuyée par les correspondances et les visites de membres du comité parisien se révéla extrêmement fructueuse. Au bout d’un an, on dénombrait déjà 113 oeuvres plus ou moins affiliées à la Société Biblique de Paris dans notre pays ! L’œuvre allait pouvoir fortement s’accélérer….

Jean-Yves Carluer

[1] Société Biblique de Paris, Rapport annuel 1822, p. 16.

[2] Wayne Detzer lui consacre un article biographique dans Sowing the World (Sheffield Press, 2006), où la contribution de Pinkerton à l’œuvre française passe à peu près inaperçue en raison de l’ampleur européenne de ses autres missions.

[3] Société Biblique de Paris, Procès verbaux du comité, premier registre, p. 36.

[4] Cité d’après O. Douen, Histoire de La Société Biblique Protestante de Paris, 1818 à 1868, 1868, p. 96.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *