Les premières Bibles de mariage en France

1822 : naissance d’une coutume protestante

    Le don solennel d’une Bible de famille aux nouveaux époux est depuis longtemps une des meilleures traditions des Églises issues de la Réforme. Même si la valeur monétaire du Livre est de plus en plus modeste, le symbole reste très fort, puisqu’il place le jeune couple devant le message et les promesses de Dieu.

Bible de famille Ostervald

Bible synodale (vers 1900) : le Livre s’ouvre sur le début du registre familial. La mémoire des joies et des malheurs qui y sont consignés est adossée au texte sacré.

    Où et quand cette tradition a-t-elle commencé ? Comme souvent, le modèle vient de la Grande Bretagne. Le comité de la Société de Paris suggéra de l’étendre à la France au tout début de l’année 1822. Selon le pasteur Orentin Douen, directeur de la Société Biblique de Paris, la première offre à de nouveaux époux aurait eu lieu à Marsauceux, petit hameau de vignerons réformés situé dans la commune de Mézières-en-Drouais. Les lecteurs de ce blog connaissent maintenant cette humble communauté de l’Eure-et-Loir à qui nous avons déjà consacré une chronique. Toujours selon Orentin Douen (1830-1896), c’est en 1822 que le pasteur Léon Née aurait le premier offert la Bible à des nouveaux mariés[1].

     Peut-être O. Douen disposait-il d’archives précises pour l’affirmer, archives que je n’ai pas pu consulter. La seule trace que j’ai pu trouver d’une de ces distributions à Marsauceux se trouve dans un des bulletins mensuels de la Société Biblique de Paris pour l’année 1824 : « C’est avec un véritable plaisir que je puis vous annoncer maintenant que les dames de Marsauceux n’ont pas voulu rester en arrière; elles se sont formées en Association biblique de femmes, et font aussi leurs collectes toutes les semaines avec autant d’ardeur et plus de succès que les hommes. Cette Association a commencé par vingt-huit personnes; elle compte maintenant trente-cinq, et espère atteindre jusqu’à quarante souscripteurs hebdomadaires ; une des règles de leur association est de donner une Bible à chaque ménage nouvellement formé, et la première a été déjà donnée« .[2]

    On peut en conclure que l’offre d’une Bible de famille aux époux commençait à être systématique à Marsauceux en mars 1824. C’était même l’objet essentiel de la petite association locale de femmes, dont nous reparlerons une autre fois. Mais rien n’indique que la première distribution à des mariés, citée dans le texte, remontait bien à l’année 1822.

    La même série de bulletins mensuels de la Société Biblique Protestante de Paris, par contre, confirme que le don de Bibles de mariage était devenu systématique dans le pays de Montbéliard dès 1822.

    Le comité de la Société auxiliaire de Montbéliard avait décidé au mois de mai « de donner une Bible en étrennes de noces à tous les nouveaux mariés indigents et sachant lire« . La première distribution connue a été faite par le pasteur Goguel au temple de Saint-Maurice le 4 juillet suivant[3]. Selon lui, « la nouvelle qui se répandait avait amené beaucoup de monde à l’église« [4]. Le pasteur Lecomte, de Vieux-Charmont, transmettait en décembre 1822 les remerciements qu’il reçut d’un couple de Grand-Charmont dont il venait de bénir l’union. Son collègue luthérien, Isaac Fallot, de Couthenans, décrit pour sa part son étonnement « quelques instants après la célébration d’un mariage qui avait été accompagné du don d’une Bible, dans la maison des nouveaux mariés. Il y éprouva la surprise la plus édifiante. Au lieu de cette joie bruyante qui règne ordinairement dans des occasions pareilles, j’ai trouvé […] deux familles réunies, écoutant, avec la plus religieuse attention, la lecture des saintes Lettres, faite par la nouvelle épouse. J’ai passé quelques instants avec ces bonnes gens, qui, après avoir terminé la lecture du chapitre qu’ils avaient commencé, se sont encore tous empressés de me renouveler les témoignages de leur reconnaissance »[5].

    Le récit du pasteur Fallot est intéressant, car il nous transporte dans un temps où la possession d’un grand livre comme la Bible était un événement pour des familles qui avaient été alphabétisées mais ne possédaient pas d’ouvrages à lire. Chez des paysans luthériens, en 1822, la Bible de famille était la Bibliothèque de famille.

    Le lecteur aura remarqué également que le don du Livre était réservé dans le Pays de Montbéliard aux époux trop pauvres pour acheter l’ouvrage. Un pas supplémentaire est bientôt franchi le premier septembre 1822 par la société auxiliaire de Mulhouse. Son comité résolut « d’offrir une Bible à tous les nouveaux mariés », sans exception. Une heureuse tradition protestante était née.

  Jean-Yves Carluer

[1] Orentin Douen, Histoire de la Société Biblique Protestante de Paris, Paris, 1868. L’information est reprise ensuite par le pasteur Lortsch dans son Histoire de la Bible.

[2] Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, N° 23, p. 404, lettre du 14 mars 1824.

[3] Aujourd’hui Saint-Maurice Colombier (Doubs).

[4] Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, N° 3 p. 47.

[5] Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, N° 9, p. 145, lettre du 27 décembre 1822.

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