Les missions en Béarn et Ariège (1).
Des sociétés bibliques s’étaient organisées assez tôt dans les deux contrées réformées du Midi qu’étaient le Béarn et le Comté de Foix. Il est vrai que ces régions avaient été visitées dès 1814 par ce pionnier méconnu de la diffusion évangélique qu’était le Révérend G. C. Smith, aumônier dans l’armée de Wellington.
Le pasteur Jean-Paul Gabriac (1792-1860), dit Gabriac fils, assistant de son père Gabriel Louis (1759-1830), président du consistoire d’Orthez, pouvait saluer en décembre 1826 « l’accroissement considérable survenu dans le nombre des associations bibliques » dépendant de la société biblique auxiliaire locale. Plusieurs facteurs y avaient contribué, le développement des écoles d’enseignement mutuel qu’il avait organisées, mais aussi la mise en place d’un réseau de collecteurs bibliques.
Mais le jeune pasteur prenait également soin de noter les résistances locales que rencontrait ce type de distribution :
« Nous ne pouvons nous dissimuler […] que l’introduction dans notre organisation, de collecteurs et de collectrices, et le changement des souscriptions annuelles en souscriptions mensuelles n’aient eu quelques désapprobateurs ; mais ce serait bien mal juger du but de notre société que de regarder ce nouveau mode de percevoir les souscriptions comme un moyen employé pour obtenir de plus grandes sommes1… ». On sent bien, à la lecture des l’argumentaire développé par Jean-Paul Gabriac, quels sont les principaux angles d’attaques contre ce système de distribution :
« La création de collecteurs et collectrices est toute à l’avantage des souscripteurs peu fortunés ; outre qu’elle leur facilite le paiement de leur contribution. Elle met en contact toutes les classes des fidèles ; les besoins physiques et moraux des pauvres, des infortunés, en seront plus tôt connus et soulagés2 ». Les adversaires du système des collecteurs bibliques insistaient en effet sur un point très sensible : le passage régulier des auxiliaires de la société biblique locale pouvait être perçu comme une stratégie de vente forcée au détriment de populations pauvres et dépendantes. En ces années 1820 le niveau de vie des Français passait par un minimum historique. Pourquoi vendre à tempérament des Bibles à des familles qui ont faim ?
Cette approche est partagée par la plupart des protestants français, surtout libéraux, ce qui explique que la distribution par collecteurs itinérants ne s’est guère généralisée en dehors des villes et de quelques paroisses rurales. « Fonder une société biblique auxiliaire locale, pourquoi pas, encourager la distribution des Écritures, très bien, mais il vaut mieux limiter son achat aux protestants les plus aisés », telle est l’opinion générale luthérienne ou réformée. On reste donc dans un modèle traditionnel qui réserve la Bible aux notables, en baissant simplement le seuil d’un cran.
La réponse de Jean-Paul Gabriac est assez pertinente, même si elle est caractéristique de l’approche « moralisante » propre à l’époque : le brassage de population induit par le passage des collecteurs favoriserait l’entraide et la charité. Effectivement, les sociétés de secours mutuel protestantes se développent alors rapidement dans le sillage de l’oeuvre biblique, en même temps que les institutions scolaires et les missions. Le volet social du Réveil accompagne son programme spirituel.
Il est intéressant de noter que le pasteur de Belloc puis d’Orthez omet un argument essentiel pour la défense des collecteurs : ces derniers bradent très souvent les Livres saints et les offrent carrément aux pauvres. C’est un secret de polichinelle. Les pasteurs s’interdisent de l’exprimer publiquement, car il transgresse la vulgate de la Société biblique de Londres. Mais les œuvres auxiliaires sont les premières à s’en affranchir. Quand la société de Paris, par exemple, offre 50 Bibles à la petite paroisse isolée normande du Chefresne (Manche), elle n’est pas sans savoir que ce chiffre est supérieur au total des familles protestantes du lieu !
De nouvelles missions…
En ce début de l’année 1827, le comité de Paris estime qu’il faut organiser de nouvelles missions bibliques à l’image de celles qui ont eu tant de succès l’année précédente. Il s’agira, en Béarn et Comté de Foix protestant, moins de créer des sociétés branches dans chaque paroisse, le réseau étant déjà localement assez fourni, que d’y susciter des vocations de collecteurs. Des équipes locales motivées peuvent en effet localement multiplier en un an la distribution de Bibles par un facteur de 4 ou 5 jusqu’à pourvoir la totalité de la population réformée.
Pour vaincre les dernières réticences, la Société Biblique de Paris fait appel à un homme doué d’un charisme et d’une légitimité incontestables, César Chabrand, président du consistoire de Toulouse. C’est un pionnier de l’oeuvre biblique, c’est une personnalité culturelle et politique, c’est le père d’Estelle Falle, dont la mort a ému les Églises. Il se prépare à visiter de nouveau le piémont pyrénéen.
« Le comité [de Toulouse] a accepté l’invitation que nous lui avions adressée d’étendre, hors de son ressort, au moyen des tournées bibliques, les progrès d’une œuvre pour laquelle il ne lui reste que peu de choses à faire dans sa propre circonscription. Cette visite fraternelle, entreprise par le pasteur Chabrand, accompagné de M. A. Borel, avocat, a eu pour but les Basses-Pyrénées3 ».
1Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, février 1827, p. 104.
2Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, février 1827, p. 104.
3Rapport annuel de la Société Biblique Protestante de Paris, 1827, p.123.