Des Bibles pour les protestants de l’Ouest -3

Saint-Maixent, la société pionnière…

    Cette association se revendique Société Biblique des Deux-Sèvres, c’est-à-dire que son ressort d’action s’étend à l’essentiel du Poitou protestant. Elle entend même, à terme, étendre sa compétence aux consistoires voisins de la Vienne et de la Loire-Atlantique et annonce donc une population cumulée de 35.000 Réformés. L’ambition est louable mais l’application en est difficile.

     – Les seuls membres actifs de la société sont, pour l’heure, des petits notables locaux résidant généralement dans les bourgs ou les manoirs de la région. Ce sont, il est vrai, les seuls à bénéficier d’une vraie culture écrite. La population poitevine étant souvent dispersée, ces hommes sont isolés et communiquent difficilement. Le fonctionnement associatif y est difficile. C’est ce que constate le pasteur de Pouzauges qui renonce à créer des relais locaux : « [C’est] une chose impraticable. En effet, quelque désirable qu’il soit que des associations bibliques se forment partout, il est certain que la population protestante dans la Vendée est trop éparpillée pour permettre que les fidèles se réunissent aussi régulièrement qu’il faudrait pour amener quelques résultats satisfaisants1

    – Il semble bien que le réseau pastoral n’ait pas favorisé l’émergence d’une structure qui aurait en quelque sorte chapeauté les 5 ou 6 Églises consistoriales concernées. Est-ce une méfiance devant la nouveauté, est-ce la peur de l’émergence d’un pouvoir parallèle ? On l’a vu, les ministres du culte ne soutiennent généralement l’entreprise que du bout des lèvres. S’il faut en chercher une preuve, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 1820 et 1830, dans chaque Église consistoriale, qui, selon les termes mêmes de la loi organique de 1802, rassemble une population d’environ 6000 huguenots, la société ne distribue, bon an, mal an, que quelques dizaines de Bibles ou Nouveaux Testaments. Or, au coeur même du Poitou protestant, à Saint-Maixent même, il n’y a qu’un exemplaire des Écritures pour 7 familles, alors que la moitié des hommes sait lire. Et il suffit qu’un nouveau pasteur soit nommé en 1830, pour que la diffusion biblique soit multipliée par 10.

Une structure inadaptée…

pin parasol Poitou

Paysage identitaire protestant poitevin à Sepvet (Deux-Sèvres) : le cimetière huguenot entre pin parasol et ferme isolée… (Source : Jérôme Lamy, »Un musée à ciel ouvert… » Diasporas, 2013, p. 23).

    Faute de relais locaux, la toute nouvelle société biblique avait décidé, après avoir offert à Paris un don d’auxiliarité de 300 francs-or de se structurer de façon centralisée en 1819 : Elle a « choisi parmi ses membres de son comité cinq secrétaires particuliers chargés de la distribution des Saintes Écritures dans les cinq Églises consistoriales de Saint-Maixent, Niort, Melle, Lezay et La Motte-Saint-Heray »2. Cette structure, pourtant validée alors par la capitale, ne correspond pas au schéma type de l’arborescence biblique qui prévoit l’organisation de sociétés branches sur le plan local. Mais sans doute le réseau des protestants intéressés est-il alors trop restreint dans le Poitou protestant pour faire vivre autant d’associations. Les cinq correspondants sont respectivement messieurs P.-E. Carsin Larente, (pour Saint-Maixent); Casimir Masson, (pour Niort); Dubreuil, maire, (pour Melle); Guischon , juge de paix, (pour Lezay); Guionnet, percepteur, (pour Lamothe-Sainte-Héraye).

    La centralisation adoptée se révèle finalement peu efficace par manque de communication : « L’ignorance où les souscripteurs éloignés ont été jusqu’à ce jour sur l’emploi des fonds qu’ils avaient versés a refroidi leur zèle. Plusieurs ont successivement cessé de nous aider de leurs pieuses libéralités3 ». Aucun rapport ne remonte vers Paris en 1823 et l’année suivante, la société de la capitale rappelle à l’ordre les Poitevins. Elle leur demande « plus de développement et d’activité 4».

    Comme ailleurs dans le Midi, c’est la volonté de réformer le réseau biblique national en appliquant strictement le modèle de Charles Dudley, qui relance la distribution des Saintes Écritures. Et, comme dans le Gard ou l’Hérault, la société-mère de Paris mandate sur place des pasteurs commissaires chargés de refonder l’effort commun. Deux missionnaires bibliques se déplacent depuis Bordeaux pour visiter les Églises du Poitou. Pierre Denfert-Rochereau peut écrire à Paris le 12 décembre 1825 : « La visite fraternelle que nous ont faite MM. Maillard et Villaret, a fait éprouver une grande joie aux amis de la Bible; pendant leur trop court séjour parmi nous, ils nous ont puissamment aidés à nous réorganiser de la manière que vous paraissiez le désirer depuis longtemps, et pour laquelle organisation nous éprouvions des difficultés; leur présence a levé tous les obstacles, et l’ancienne Société des Deux-Sèvres n’existe maintenant que dans la Société auxiliaire de Saint-Maixent et les cinq Sociétés branches de Niort, Melle, La Motte-Saint-Héraye, Lezay, et Rouillé (Vienne), qui sont toutes organisées, et qui établissent dans ce moment des associations bibliques sur les divers points de leur circonscription consistoriale 5». La visite des Bordelais semble avoir suscité un double miracle : organiser des sociétés branches dans chaque Église synodale, et, mieux encore, fonder un peu partout des associations locales.

    Nous ne connaissons pas les détails des temps et des lieux de cette mission de novembre-décembre 1825. Elle a certainement représenté, comme ailleurs, un événement local. Les visites de pasteurs de grandes villes étaient rares en Poitou. Leur autorité a suffi à motiver les ministres locaux du culte, leur prédication a suscité de futurs équipiers de sociétés branches et surtout des collecteurs au niveau des paroisses.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

1Société Biblique Protestante de Paris, Rapport annuel, 1822, p. 97.

2Idem, p 48.

3 Idem, 1825, p. 46.

4Idem 1824, p. 83.

5Bulletin de la Société Biblique de Paris, janvier 1826.

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