Portrait d’une jeune comtesse évangélique

Louise de Broglie, comtesse d’Haussonville, par Ingres

    C’est un des tableaux les plus célèbres du premier XIXe siècle français. On doit ce chef d’oeuvre au talent du peintre Ingres qui a passé trois années entières pour en réaliser les détails, de 1842 à 1846. Louise de Broglie (1818-1882), comtesse d’Haussonville, la jeune mariée représentée par Ingres, était à la fois arrière-petite-fille, fille et bientôt mère de premier ministre, ainsi que fille, épouse, et plus tard mère et sœur de membres de l’Académie Française ! C’est dire si elle a été, en son temps, une figure incontournable des élites de la nation.

Louise de Broglie, comtesse d'Haussonville (Wiki Commons)

Louise de Broglie, comtesse d’Haussonville,  par Ingres (1842-1845)

   Ce que l’on sait moins, c’est que notre Louise était incontestablement évangélique. Elle était née au château de Coppet, près de Génève. Sa mère était la duchesse Albertine de Broglie que nous avons présentée sur ce site comme pionnière de la Société Biblique de Paris et de la Société des Missions, grande habituée de la Chapelle Taitbout. Le prince Victor de Broglie, son père, président du Conseil du roi Louis-Philippe, était un catholique dit « libéral » qui formait, avec le protestant François Guizot, la cheville ouvrière de la Société de la Morale Chrétienne qui voulait dépasser les frontières confessionnelles du temps autour de la Bible. Les de Broglie étaient un couple mixte qui respectait les usages de l’époque : leurs filles étaient élevées dans la foi protestante, les garçons dans la foi catholique, ce qui fait qu’Albert de Broglie (1821-1901), quoique assez modéré à titre personnel, sera considéré plus tard comme un président clérical au début de la IIIe République.

    Louise, qui posa pour Ingres, avait épousé en octobre 1836 un jeune diplomate de grande famille, Othenin de Cléron, comte d’Haussonville, fils d’un pair de France ; son mari fut très tôt député puis académicien. Comme toutes les unions aristocratiques de ce temps, surtout à ce niveau de fortune, le mariage avait fait l’objet de négociations familiales desquelles je ne sais rien, mais auxquelles la jeune épouse de 18 ans avait acquiescé. Ce qui est sûr c’est que l’union fut heureuse. Lorsque le comte d’Haussonville se trouva veuf, près d’un demi-siècle plus tard, il manifesta le plus vif regret de son épouse. Même s’il ne partageait pas officiellement sa foi, il se montra à la chambre des députés un appui constant pour les évangélistes malmenés par le pouvoir. Leur fils Paul Gabriel Othenin de Cléron d’Haussonville (1843-1924) défendit avec ardeur la loi de séparation des Églises et de l’État1.

    Une lettre de la duchesse Albertine de Broglie à sa fille Louise nous livre quelques lumières sur la piété personnelle de la comtesse d’Haussonville, quelques semaines après son mariage. La duchesse s’inquiète à ce moment-là des tendances légalistes qu’elle croit discerner dans la foi de sa fille. Le problème est soulevé par la volonté de Louise de se conformer aux usages wesleyens et britanniques de respecter scrupuleusement le jour du repos au point de refuser toute activité sociale en cette occasion : « Mon cher enfant, lui écrit-t-elle, comment as-tu pu comprendre le dimanche si juridiquement que de croire qu’il fallait t’ennuyer tout le jour ? Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. Cela ne fait aucun plaisir au bon Dieu que tu aies passé la journée à maudire la nature entière. Si tu avais été te promener, voir de jolies choses, enfin passer ton temps de ton mieux, cela aurait beaucoup mieux valu. Je crois que jusqu’à ce que la grâce de Dieu nous fasse trouver notre plaisir dans de longues méditations, il faut éviter seulement le dimanche ce qui donne de la peine aux domestiques et les trop grandes dissipations2 ».

    A la fin de sa vie, Louise retrouva toute la radicalité de son engagement évangélique. Elle s’était rattachée, non à une Église réformée, même « libre » ou « réveillée » mais à la petite chapelle wesleyenne de la capitale.

    Nous avons trouvé le compte rendu de son service d’inhumation, présidé par le pasteur James Hocart, paru dans l’hebdomadaire méthodiste L’Évangéliste du 14 juillet 1882, qui précise bien qu’elle est de dernier représentant protestant de la famille de Broglie.

« De concert avec quelques nobles sœurs chrétiennes, aujourd’hui à peu d’exception près disparues de la terre, elle fit plus pour cimenter l’union des chrétiens de Paris que ne l’avaient jamais fait des organisations officielles. Mme d’Haussonville fréquentait le culte méthodiste de la chapelle Malesherbes et elle y prenait la cène3 ».

    Toujours d’après le journal méthodiste, trois princes d’Orléans (les prétendants au trône de France), le duc de Broglie (ancien président du Conseil), et le Maréchal de Mac-Mahon (ancien président de la République) assistaient au service. Ce fut probablement le dernier témoignage de foi protestante apporté à ces personnalités politiques du parti orléaniste.

Jean-Yves Carluer

1Comte d’Haussonville, Après la Séparation, suivi du texte de la loi, Didier, 1906.

2Lettres de la duchesse de Broglie, 1814-1838, Calmann-Lévy, 1896, p. 250.

3L’Évangéliste, 24 avril et 14 juillet 1882.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *