1848 : De Marseille vers l’Italie

1847-1849 : l’aumônier des marins de Marseille évangélise l’Italie.

     La société des Amis des marins de New-York avait déjà échoué deux fois dans ses projets d’établir une aumônerie navale à Marseille. Mais les Américains ne se décourageaient pas !     Rappelons les faits. Un premier missionnaire avait décidé de devenir aumônier de la Marine américaine, alors même qu’il était en route vers la Méditerranée. En 1835, une deuxième tentative, confiée au pasteur Ely, n’avait pu hélas dépasser la première année, car les fonds avaient manqué pour poursuivre l’aventure. C’est que la société de New-York (The American Seamen’s Friend Society) était financièrement fragile. Elle peinait à entretenir son ambitieux réseau de Béthels portuaires, de Saint-Pétersbourg à Canton en passant par Honolulu, Rio de Janeiro, et, bien entendu, Le Havre. Le comité souhaitait vivement établir un aumônier en Méditerranée et Marseille semblait le meilleur endroit pour cela. La France était, à vrai dire, à cette époque, le seul pays riverain à peu près ouvert à l’évangélisation. Mais les relations maritimes de Marseille avec l’Amérique étaient plus faibles que celles du Havre, et surtout beaucoup plus irrégulières. Il importait donc de choisir le bon moment.

     Le comité de New-York pensa que les conditions étaient réunies en 1847. Sans doute n’analysait-il pas assez l’ampleur de la crise économique qui frappait le vieux continent. Il est vrai qu’une opportunité très intéressante se présentait. Nous avons déjà parlé sur ce site du pasteur Eli. N. Sawtell, aumônier des marins au Havre et fondateur de la chapelle anglo-américaine. Il avait été recruté quelques années auparavant par la Foreign Evangelical Society (FES) américaine, qui finançait tout un réseau d’évangélistes et de colporteurs en France, en lien avec la Société Évangélique de Genève. Ce comité américano-suisse, fondé par le pasteur Baird, avait pris entièrement à sa charge l’évangélisation de deux régions de notre pays : le Massif Central, ou se développaient les œuvres de Thiers, Roanne, Clermont et Saint-Étienne, ainsi que la Provence où il venait de détacher le pasteur Bettex. Les Américains et leurs amis suisses étaient en pourparler pour y embaucher Napoléon Roussel et Léon Pilatte, deux orateurs évangéliques très connus.

     Sans doute E. Sawtell servit-il d’intermédiaire pour proposer le co-financement par la mission des marins et la FES du poste d’aumônier de Marseille. L’accord fut conclu au cours de l’été 1847.

     Mais le principal risque d’une coopération réside habituellement dans la divergence des objectifs. C’était justement le cas en 1847. La feuille de route du futur pasteur apparaît en effet quelque peu différente selon les deux organismes qui le financent. Pour l’American Seamen’s Friend Society, il est d’abord chargé de refonder le Béthel de la cité phocéenne. Par contre, les instructions données par le pasteur Baird et transmises par le comité de la Foreign Evangelical Society (FES) sont à la fois plus précises et plus ambiguës : « Un homme qui prêcherait aux gens de mer chaque dimanche matin dans quelque local proche des quais ainsi que l’après-midi au temple national protestant devant les résidents anglais et américains rejoints par des marins volontaires, ferait beaucoup de bien. Et s’il connaissait le français et était désireux de coopérer avec le groupe de protestants français zélés qui réside dans cette cité, il en ferait plus encore. Par-dessus tout, s’il a le cœur d’un vrai missionnaire et veut rencontrer les centaines de marins venus d’Égypte, du Levant, et au-delà, de tous les rivages méditerranéens, qui viennent en grand nombre à Marseille, s’il converse avec eux, s’il leur distribue des livres religieux, alors il ferait un bien inimaginable« [1].

     On le voit, le programme de la FES est plus large que la seule tâche d’aumônerie maritime américaine.

L’impact de la Révolution de 1848

     Le deuxième écueil du projet marseillais était la fragilité du financement qui n’était pas complètement assuré le 9 octobre 1847 quand le Révérend George H. Hastings embarqua à New-York. Il manquait 500 dollars-or aux sociétés américaines qui espéraient bien les trouver en France, venant « des Anglais et des Américains résidant sur place ainsi que d’une ou deux familles françaises« .

     « M. Hastings a commencé son œuvre avec beaucoup d’énergie » estima bientôt le comité de la FES. Nous savons peu de choses sur son action à Marseille au cours du dernier trimestre 1847. Il note que 296 navires anglais ou américains ont fait escale dans le port cette année-là et confirme qu’il y a là un remarquable champ de travail.

     Pourtant, tout change en février 1848. La cité est touchée par l’effervescence révolutionnaire qui secoue les grandes villes de France en février 1848. La crise économique qui s’aggrave restreint considérablement les escales anglo-saxonnes. Le travail d’aumônerie se justifie de moins en moins.

Pionnier de l’évangélisation en Italie…

La frégate USS United States, construite en 1797, était le premier navire de guerre américain de ce tonnage. Il s'illustra à de nombreuses reprises (ici, détail d'un tableau représentant son combat contre le Macedonian en 1812). Mais ce navire transporta aussi les Bibles du pasteur Hastings !

La frégate USS United States, construite en 1797, était le premier navire de guerre américain de ce tonnage. Elle s’illustra à de nombreuses reprises (ici, détail d’un tableau représentant son combat contre le Macedonian en 1812). Mais ce navire transporta aussi les Bibles du pasteur Hastings !

      Au même moment la frégate USS United States fait escale à Marseille. Cette unité de la Marine des Etats-Unis terminait une carrière de plus d’un demi-siècle par une mission anti-piraterie en Méditerranée. Forte de 400 hommes, elle vient de perdre son aumônier. Le commandant accueille le pasteur George H. Hastings et lui propose de servir à bord pour le reste de la croisière du navire qui doit faire escale sur les côtes italiennes. C’est l’occasion que le pasteur attendait. Mais dès lors, le Rev. Hastings disparaît des effectifs de la Mission des marins de New-York.

     La FES, par contre, relate que ce voyage lui a permis de se rendre dans plusieurs villes importantes, Gènes, Livourne et Florence où il s’est mis en relation avec des résidents anglais et fait imprimer en italien le Catéchisme anglican abrégé et la Confession de foi de Westminster. Le rapport de la société américaine attestera bientôt qu’il a effectué deux voyages en Italie, « emportant avec lui de nombreux exemplaires de la Parole de Dieu et mettant au point avec divers interlocuteurs des stratégies pour son importation dans le pays« [2] La tâche du pasteur Hastings est désormais de mettre en place l’approvisionnement en Bibles, point de départ indispensable à l’évangélisation d’un pays en construction et que diverses révolutions ouvrent pour un temps à la liberté religieuse. « Dans une de ses dernières réunions, le comité à demandé à M. Hastings de s’établir à Livourne ou Florence, ou dans quelque autre cité centrale adaptée à la mission d’organiser l’évangélisation de l’Italie en recrutant des colporteurs ou par tout autre moyen« [3].

     On sait aujourd’hui que ce plan n’a pas pu se réaliser. La parenthèse de liberté s’est vite refermée et les persécutions ont repris, épargnant tout juste les Églises Vaudoises du Piémont.

    Ce n’était pas encore le temps du Réveil pour l’Italie. Mais quelques hommes s’étaient préparés pour cette éventualité, et parmi eux, un aumônier américain de Marseille…

Jean-Yves Carluer

[1] Foreign Evangelical Society of the United States of America, Rapport de 1847, p. 57.

[2] Foreign Evangelical Society of the United States of America, Rapport de 1849, p. 29.

[3] Idem, p. 47.

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