Aux origines de l’Association biblique des dames de Paris – 3

Avril 1823- avril 1824 : une année de démarches…

     Il était évident, dès les premières heures de la création de la Société Biblique Protestante de Paris, que celle-ci se doterait de branches auxiliaires féminines.

    Là encore Londres montrait l’exemple, et la prodigieuse extension du réseau mis en place outre Manche par Charles Dudley y était devenu un des principaux moteurs de la diffusion biblique.

    Les délégués du comité parisien aux assemblées générales de la maison mère d’Earl Street avaient été enthousiasmés par les rapports qu’ils avaient entendus. Frédéric Monod et Sigismond Billing, de retour à Paris, appelèrent de leur vœux les Français à imiter les Britanniques. Leurs discours, imprimés à des milliers d’exemplaires et répandus aux quatre coins du pays, suggéraient aux dames de s’organiser localement en associations.

    Mais le contexte français n’était pas le même que celui des Îles britanniques ou des pays nordiques. Voir des femmes s’organiser elles-mêmes pour agir sur la société, en dehors des congrégations religieuses catholiques, semblait choquant à beaucoup. Sur le plan politique, l’heure était aux restrictions de libertés. Le gouvernement ultra-royaliste de Villèle multipliait les procès contre les libéraux et donnait la chasse aux « comploteurs ». La Société Biblique de Paris avait profité de la parenthèse libérale d’un gouvernement influencé par le duc Decazes pour obtenir son autorisation en 1818. Pourrait-elle innover davantage en 1823 ? Circonstance aggravante, la quasi-totalité des dames désireuses de créer des associations féminines étaient des épouses de notables connus comme des chefs de file de l’opposition au pouvoir en place !

    Car à Paris, justement, une dizaine de femmes de la haute société protestante brûlent de s’engager dans l’œuvre biblique. Si elles se connaissent entre elles, ce n’est pas par la fréquentation d’une même paroisse. Certaines, d’origine alsacienne, fréquentent le temple des Billettes, les autres se retrouvent au culte réformé de l’Oratoire du Louvre. Leur rendez-vous commun a lieu chez l’une d’entre elles, Mary Jackson, épouse du Révérend Mark Wilks (1783-1829), pasteur de la communauté anglophone de la capitale. Le salon du Révérend Wilks est le creuset de ce que l’on va appeler le Réveil parisien. C’est là que se fonde aussi à la même époque la Société des Missions évangéliques de Paris1.

    Nous reviendrons une autre fois sur la composition de ce groupe de dames. Citons juste quelques personnalités dominantes, à commencer par Albertine de Staël, duchesse de Broglie, présentée ailleurs sur ce site. Il y avait aussi la jeune Emilie Oberkampf (1794-1856), épouse d’un grand banquier, le baron Jules Mallet. Elle était la tante de Julie de Salvandy. Citons aussi Suzanne de Chabaud-Latour (1773-1850), épouse d’Henri Juillerat, pasteur à l’Oratoire du Louvre, plus connu sous le nom de Juillerat-Chasseur.

Sous la houlette de Sigismond Billing

Françoise Joyce Billing

Fanny Joyce Billing par D’Ouville (vers 1815). Miniature en vente sur le site : http://www.wilnitsky.com (Boris Wilnitsky Fine arts, Vienne, Autriche, office@wilnitsky.net).

   Nous avons dit que c’est la visite à Paris de Mme Le Couteur, de Jersey, qui permet de mettre en route le projet de l’association de dames. La Société biblique décide immédiatement de les confier à un tuteur: « Le comité a nommé M. Sigismond Billing, l’un des secrétaires de la Société, son commissaire pour procéder à l’organisation d’une société auxiliaire de dames dans la capitale2« . Il ne saurait être question, en effet, à l’époque, de laisser des femmes développer une telle œuvre sans contrôle, même si elle les concerne au premier chef !

    Ceci dit, Sigismond Billing est l’homme, si l’on peut dire, de la situation3. De tous les membres du comité, ce banquier d’origine alsacienne avait été le premier à plaider la cause des associations bibliques féminines. Le fait qu’il avait épousé une Anglaise, Fanny Joyce (1780-1856), n’était pas étranger à son intérêt pour l’association des dames dont elle était proche.

    Obtenir l’autorisation du gouvernement n’a pas été une chose simple. D’après l’historienne Alice Wemyss, qui avait dépouillé la correspondance de la Société biblique britannique, les autorités françaises rejetèrent immédiatement la demande4. Depuis Jersey Madame Le Couteur encourage alors le comité de Paris à persévérer : « Vos dames auront sans doute trouvé des difficultés au commencement, mais elles diminueront journellement5« .

    L’autorisation gouvernementale arrive enfin en mars 1824, « on se sait trop pourquoi » selon Alice Wemyss, qui avance cependant une explication vraisemblable, celle de la pression internationale. Le gouvernement céda « pour calmer les craintes qui commençaient à se manifester à l’étranger« .

    L’Association biblique des dames de Paris était née.

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

1 Daniel Robert, « Les femmes et la mission dans les débuts de la Société des missions évangéliques de Paris », Les Réveils missionnaires en France du Moyen Âge à nos jours (XIIe-XXe siècles), dir. Guy Dubosq, Beauchesne, 1984, p. 297-310.

2 Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, avril 1823, p. 162.

3 Sigismond Billing (1773-1832) fils d’un pasteur qui fut aussi recteur du gymnase protestant de Colmar, avait commencé sa carrière comme commis dans l’agence parisienne de la banque fondée par son grand-oncle Doerner. Tempérament enthousiaste, profondément patriote, il s’était engagé comme volontaire en 1791 et participé aux premières batailles de la République. Ses chefs, constatant ses qualités de gestionnaire, l’avaient rapidement nommé commissaire des guerres (1792-1795). Devenu banquier, il conserva un rôle militaire à Paris : il était chef de légion de la Garde Nationale sous l’Empire et la Restauration. Sigismond Billing, co-fondateur du consistoire luthérien de la capitale, en était le secrétaire.

4 Alice Wemyss, Histoire du Réveil, 1790-1849, Paris, 1977, p. 139.

5 Lettre de Madame Le Couteur, 4 juillet 1823 (Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, 1823, p. 256.

 

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